jeudi 8 novembre 2001

Notre rencontre

   Je suis en avance, et pourtant je me hâte... Marchant à grands pas, je ne tiens plus en place; excitée à l'idée de rencontrer enfin celui qui me tient compagnie depuis déjà deux mois! Celui qui ensoleille mon quotidien... Que sais-je de lui? Qu'il me fait rire, qu'il fait naître en moi des émotions sincères; que lorsque je lui parle, j'ai le sentiment que mes propos l'intéressent, tout comme mes pensées, mes joies, mes peines... Etre importante pour une personne sur cette planète!!! Avoir envie de me dépasser dans le seul et unique but de le faire rire, de lui donner des moments de bien-être aussi intenses que ceux qu'il m'apporte.
    Je m'installe; nerveuse, impatiente! Je me plonge dans mon San-Antonio, histoire de tromper le temps qui me torture en le laissant croire qu'il n'a aucune prise sur moi! Mais rira bien qui rira le dernier; et ce n'est pas moi... Suite à cette heure d'attente interminable, certains de mes ongles sont plus courts qu'avant, mes cheveux sont ébouriffés d'avoir été malmenés; mais je n'ai pu me concentrer suffisamment pour lire ne serait-ce que trois pages...
    Arrive enfin l'heure à laquelle il devrait être là... Au comble de l'excitation, j'ai autant envie de scruter chaque visage à la loupe que de rester le nez plongé dans mon livre afin qu'il me repère lui-même; cet homme à qui j'ai décrit mes accoutrements, ma douce folie qui semble tant lui plaire.
    N'y tenant plus, je sors afin de donner à mon corps la dose de nicotine qui m'aidera à patienter. M'asseyant à même le sol, j'allume ma cigarette et sourit à un mignon jeune homme occupé à satisfaire le même besoin morbide que moi. C'est alors qu'il prononce mon nom... Prise au dépourvu, je lui renvoie un "oui" ordinaire, dépourvu d'originalité... Je devais pourtant lui débiter une tirade; je n'y pense même plus. De la main gauche, je tapote le sol, l'invitant à s'y asseoir.
    Lui qui devait me prendre dans ses bras reste assis, l'air un peu nerveux, et me regarde. Le doute s'empare de moi. Est-il déçu? Ou encore est-il tout comme moi intimidé par notre soudaine réalité? N'écoutant que mon courage, je l'attire vers moi et l'embrasse sur les joues... Il se laisse faire, ne semble ni dégoûté, ni agacé.
    Nous sommes deux étrangers. La crainte de ne pas retrouver cette rassurante complicité virtuelle se mêle à mon bonheur. Cependant, je possède un atout important. Dans mon sac à main se trouve un document permettant de faire la transition vers le réel... Je le touche, il est bien là; ça va...
    Nous marchons côte à côte, nous dirigeant vers la rue Saint-Denis. Je le regarde. Il me plaît! Mon Dieu, à qui j'ai envie de croire durant quelques secondes, faites qu'il en soit de même pour lui!!! Puis, de façon plutôt soudaine, il m'attire contre lui, tout en continuant à avancer. Je tente désespérément de masquer ma joie comme ma timidité afin qu'elles soient imperceptibles, et j'ai conscience de ne pas y parvenir... Nerveusement, je déblatère...
    Assis devant notre café, j'exhibe plus ou moins fièrement le plan du pédalo concocté par moi-même destiné à de longs voyages outre-mer. Il rigole! Je rigole! Il me taquine... Le contact se rétablit. Je me sens bien, je suis moi-même...
    Faisant office de guide touristique, je le promène bien maladroitement à travers les rues de Montréal. Tous les endroits visités nous semblent dérisoires puisque le seul attrait recherché est la présence de l'autre... Nous nous lançons de multiples défis, jouons les lanternes chinoises; nous suivons des individus lubriques, descendons des rampes d'escalier et buvons de la bière dans un pichet au St-Sulpice.
    Je me sens libre d'être bien, de l'aimer; comme si nous avions toute la vie pour le faire au lieu de deux ridicules petites journées... Malgré tout, nous sommes conscients du côté éphémère de notre union. Je veux tout faire en peu de temps, tout connaître de lui, brûler les étapes et vivre en trente-six heures une existence de bonheur...
    La nuit venue, après une féroce bagarre que j'ai perdue par politesse, nous nous collons l'un à l'autre. Je veux imprégner mes doigts du souvenir de ses cheveux, de sa peau... Ses bras m'enserrent, sa voix me chuchote de tendres "Je t'aime", nous sommes des amoureux comme les autres...
    Le matin venu, la réalité me déchire!!! Quelques heures à peine nous protègent encore, nous isolent de la séparation définitive. Mais je ne veux pas qu'il parte!!! Je veux m'accrocher, me perdre en cet homme que j'aime et qui me donne envie de vivre!!!
    La journée est triste... Nos rires sont teintés de regrets... Pour nous narguer, la pluie s'en mêle en nous jetant des larmes glaciales qui ridiculisent les nôtres... Je suis dévastée puisque je sais que je ne pourrai jamais l'oublier; ma vie a changé, je suis une autre... Et c'est en pleurant mon désespoir que, sans un regard en arrière mais après l'avoir embrassé des centaines de fois, je le laisse partir; retrouver sa vie à lui, dans cette France lointaine.
    Après mille péripéties, lorsqu'enfin j'arrive à l'endroit où je travaille, les seules personnes au courant de mon escapade amoureuse me questionnent, veulent savoir si tout s'est bien déroulé. C'est avec des larmes dans les yeux que je leur réponds: "Trop bien! Tout s'est vraiment trop bien passé!!!"