dimanche 3 mai 2009

Rivière et grand-mère

Il y avait cette rivière qui traversait la ville d'Amos; une rivière qui n'avait que peu de charme à mes yeux d'enfant, puisqu'on racontait qu'elle n'avait pas de fond, et que si l'on y tombait on était irrémédiablement attiré vers ses profondeurs abyssales peuplées de monstres tous plus horribles les uns que les autres...

Sur le pont qui la chevauchait, je me suis souvent arrêtée afin de contempler ces eaux boueuses, ces remous brunâtres, cette démonstration de puissance effrayante dont la fausse somnolence hivernale a emporté plus d'un être humain dans la mort...

C'était la rivière Harricana qui serpentait à travers l'Abitibi, arrosant les villages bâtis sur ses rives, voie d'eau navigable principale du nord-ouest québécois, impressionnante autant par ses menaces que par ses largesses.

Ma grand-mère habitait une maison tout près de cette grande rivière, juste à côté d'une résidence pour personnes âgées, le Foyer Saint-Joseph.

Au rez-de-chaussée de chez elle se trouvaient les pièces à vivre, la chambre de grand-maman et celle de grand-papa. Personne ne couchait plus en haut depuis le départ du dernier des enfants, et pour moi c'était un petit monde caché, comme dans les films que je regardais, les histoires qui me fascinaient, peuplées de fantômes d'enfants apparaissant dans de vieilles maisons, ou de mystères irrésolus que des fillettes de mon âge mettaient au jour...

Puis j'y ai trouvé une allumette en bois posée sur un bureau... je devais avoir 5 ou 6 ans... La prenant dans ma main, j'ai eu l'idée de la frotter sur le bois, doucement... en me disant que ça ne l'allumerait pas... mais en ayant un frisson délicieux de crainte enfantine qui devint terreur lorsqu'une flamme se forma dans un grésillement sulfureux...

De peur, je la lançai et m'enfuis dans l'escalier, non sans un dernier regard vers l'allumette retombée sur le lit... une petite flamme toujours dansant à son extrémité... et j'attendis de longues minutes, de longues, longues minutes que de la fumée apparaisse, que des flammes se fassent entendre, qu'une lueur attire quelqu'un vers le premier étage, quelqu'un qui redescendrait en hurlant "Au feu!"... avant d'y retourner et de constater que si elle était encore au même endroit, elle avait fini par s'éteindre d'elle-même sans provoquer la moindre panique.

Quelques heures, quelques semaines ou quelques années plus tard, je ne sais plus, quand le Foyer Saint-Joseph disparut dans un immense brasier, je me sentis bizarrement un peu coupable... sans raison logique!

Chez grand-maman, il y avait une chute à linge, c'est-à-dire un tunnel vertical prenant naissance dans une armoire de la salle de bain et descendant au sous-sol, juste à côté de la laveuse... ce qui permettait de lancer ses vêtements souillés dans le trou au lieu de descendre les porter à chaque soir...

Ma cousine Sarah et moi avions l'habitude de descendre par la chute à linge jusqu'au sous-sol, ce qui nous plaisait bien... et faisait le malheur de grand-maman qui nous disputait tant bien que mal lorsqu'elle nous prenait en flagrant délit... ce qui ne donnait rien, bien naturellement!!

Qu'est-ce que ça pouvait bien faire? On ne pouvait pas se faire mal, franchement!!! Ah, les grand-mères!! Toujours inquiètes!!!

Ce n'est que plus vieille que j'ai réalisé que cette chère dame avait certainement peu de crainte pour notre intégrité physique... en fait, je pense que ça l'écoeurait un peu de nous voir marcher allègrement dans les vêtements sales de nos grand-parents!!!

Il était facile de descendre, un peu moins de remonter... et lorsque la croissance nous fit prendre des formes, nous finîmes par cesser... au risque de rester coincées... Il faut dire qu'à ce moment-là, le but était principalement devenu d'agacer notre aïeule...

Quelques souvenirs notés au fil du temps... pour mes enfants... sachez que votre arrière-grand-mère avait une chute à linge qui a fait le bonheur de votre maman... et que la rivière Harricana l'impressionnait... par sa puissance autant que ses énigmes.

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