mercredi 15 avril 2009

A la découverte des mystères de monsieur St-Eve

La première fois que j'ai entendu parler de monsieur St-Eve, il était déjà vieux... et lorsque j'entrai chez lui par effraction, il était décédé depuis déjà plusieurs mois.

Les légendes ayant toujours un fond de vérité, je pense qu'il devait être parano, un peu cinglé, peut-être, et surtout asocial; vieil ermite vivant dans la peur de l'autre, ou alors dans la haine... je ne sais pas...

Petite, mes oncles, au chalet, m'avaient indiqué cette maisonnette plutôt austère isolée mais apparente depuis la rive du lac... émergeant d'un amas de conifères. On racontait qu'il accueillait à la carabine les téméraires qui osaient s'aventurer sur son territoire, qu'il avait fait construire des murs d'un mètre d'épaisseur dans le but de se protéger d'une guerre, qu'il conservait des tanks dans son garage, qu'un passage secret creusé plusieurs décennies auparavant reliait sa cave aux bois, permettant une évasion discrète au cas où des soldats ennemis attaqueraient en pleine nuit!!! En fait, on ne précisait pas que les envahisseurs se présenteraient de nuit, mais c'est toujours ce qui fait le plus peur et j'aimais bien alimenter mes terreurs de détails horrifiants.

Durant mon enfance, cette maison représentait pour moi un monstre endormi... tant que je ne m'approchais pas, je n'avais pas à avoir peur. Par contre, l'adolescence arrivant...

Monsieur St-Eve me revint à l'esprit un jour que, devant une maison à Amos, en Abitibi, je vis une ambulance dans laquelle des infirmiers faisaient entrer une civière portant un corps recouvert d'une couverture de laquelle n'émergeait aucune partie... Je compris immédiatement qu'il s'agissait d'un cadavre et je cherchai bientôt à y poser un nom, histoire d'apprivoiser, je pense, une situation qui m'avait bien impressionnée. Je ne tardai pas à faire le lien entre ce corps sans vie et le vieil ours dont le nom seul m'intimidait.

J'avais 15 ans et j'étais allée dormir près du chalet de mes oncles avec mon copain de l'époque, son ami, et deux copines très proches.

Après avoir descendu quelques bières, nous sommes devenus capables de bien des exploits et c'est avec beaucoup de "courage" que nous sommes montés à l'assaut de la forteresse maintenant vidée de son principal occupant, tapie là depuis les temps immémoriaux de l'enfance de mes parents... qui me paraissait, oui, fort, fort lointaine! :)

Malheureusement, aucun moyen facile de pénétrer ce bunker... comme nous aurions dû le penser plus tôt, mais aidés par l'alcool, la présence des autres que nous voulions impressionner et les histoires fascinantes que nous avions entendues, nous avons fini par accepter la proposition de l'une d'entre nous de se glisser par une fenêtre afin de nous faire entrer... par la porte... ce qui fut fait, non sans un léger bris de verre.

J'avoue avoir eu énormément d'admiration pour cette personne plus mince, plus contorsionniste que moi... parce que jamais, au grand jamais je n'aurais osé entrer seule dans cette maison qui pour moi était peuplée de spectres et d'horribles souvenirs...

Pourtant, tout nous sembla normal... c'en était presque décevant!!!! Si décevant que nous nous mîmes à ouvrir armoires et placards, à la recherche de trésors cachés, et même le frisson à la pensée que je pouvais tomber sur les restes torturés d'un être humain contribuait à cette morbide excitation exacerbée par une douce terreur.

Nos trouvailles furent bien maigrichonnes... Quelques cierges dont deux noirs qui nous permirent maintes allégations de messes sataniques, un calendrier ouvert à une date depuis longtemps révolue dont nous tentions de décrypter la symbolique, de vieux journeaux, d'antiques magazines vantant les mérites du corset ou des talons hauts...

Après avoir vainement tenté de faire venir l'esprit de monsieur St-Eve dans une mauvaise imitation de séances médiumniques de cinéma, nous avons tiré autant que nous le pouvions sur l'anneau d'une trappe posée sur le sol de la cuisine et qui nous apparut, à notre grande stupeur, verrouillée de l'intérieur puisque nous n'arrivions à trouver aucun système accessible d'où nous étions. La preuve était faite, selon nous, de la véracité de l'existence du fameux passage secret... notre excitation décuplait!!!

Arrivés au garage fermé par un lourd cadenas rouillé résistant à nos assauts réduits au minimum, l'une de nous émit l'hypothèse que nous n'avions pas besoin de passer par la porte... Après l'avoir regardée comme si elle était la dernière des connes, l'un des garçons sembla soudain comprendre et nous nous attaquâmes tous aux parois de tôle métallique qui cédèrent facilement à notre charge. Croyant découvrir quelque spectaculaire machine de guerre, nous dûmes nous rendre à l'évidence devant le banal tracteur qui nous regardait bêtement...

Après avoir rassemblé notre maigre butin, nous repartîmes vers nos tentes, laissant dans l'état nos preuves de "vaillance".

Au lendemain, tout comme l'assassin revient toujours sur les lieux de son crime, nous sommes retournés pour voir... si quelqu'un était venu... et je pense surtout pour nous convaincre nous-mêmes de la réalité de ce que nous avions fait...

En voyant le mur du garage réparé, la fenêtre pas remplacée mais scotchée... nous avons eu tellement peur, conscients que nous étions d'être passés à quelques cheveux, quelques petits poils... de nous faire prendre...

Et pourquoi avions-nous fait ça? Pour affronter une partie des démons de notre enfance, pour montrer aux autres de notre âge que nous étions capables d'aller jusqu'au bout... et surtout, je pense, parce que nous nous étions approprié une partie de la légende entourant cet homme, et que nous avions réellement cru que notre intrusion en était légitimée. Nous n'avions pas fait de vandalisme - nous considérions la fenêtre et le garage comme... du nécessaire -, rien n'avait été cassé, altéré, et les vols n'avaient consisté qu'en bougies et vieux magazines...

Par contre, nous avions vécu une aventure... comme nos héros dans des films ou dans ces livres que nous dévorions... nous en étions quasiment arrivés à croire réellement que nous allions découvrir quelque chose d'épouvantable!!!

Nous savions, également, que nous n'étions pas les premiers à nous introduire dans cette maison... la voie avait été ouverte depuis bien longtemps...

Monsieur St-Eve, qui jouait pour nous le rôle de la sorcière du village ou du vampire ou de l'ogre... je ne sais pas du tout ce que vous étiez réellement, ni à quoi vous ressembliez sans couverture sur le visage... mais on peut dire que vous nous avez bien fait rêver!

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